Créer dans les rues berlinoises des embouteillages grâce au numérique, tel fut l’idée de l’artiste Simon Weckert. Pour cela, l’artiste s’est promené avec une petite charrette contenant une centaine de téléphone dans des rues où il n’y avait quasiment pas de circulation. Or les applications GPS sur smartphone, tels que Google Maps ou Waze, ont tout de suite affiché sur leur carte numérique des rues complétement embouteillées. Cette performance artistique nous interroge alors sur l’influence du numérique sur notre propre perception du réel. Prenons le cas de l’application GPS Waze, utilisée par plus de 12,5 millions de français chaque jour. Jeu de mots anglais à partir du nom « ways » que l’on peut traduire par chemins, l’application permet notamment de montrer la pluralité de ces chemins arrivant pourtant à la même destination. Ainsi rien de plus réel qu’une route, des panneaux de signalisation, un trajet allant d’un point A à un point B. Mais le numérique arrive toutefois à modifier, transformer cette réalité provoquant le mécontentement de certains
Une carte interactive crée en permanence par la communauté des « wazers »
En 2008, les fondateurs de Waze se lancent le défi de cartographier le monde à partir d’un plan vierge. Tout commence quelques années auparavant en Israël, quand Ehud Shabtan (un des co-fondateurs de l’entreprise) décide d’améliorer la précision de son GPS. Cependant il s’aperçoit rapidement qu’il ne peut rajouter des routes à son GPS existant. Lui vient alors l’idée de développer un GPS communautaire où chaque utilisateur peut contribuer à cette carte collaborative. D’abord appelée Free Map Israël, l’application prend rapidement le nom de Waze avec l’arrivée des deux autres co-fondateurs, Amir Shinar et Uri Levine. La nouveauté de l’application tient en son absence d’envoyer des experts directement sur le terrain. En effet, l’application est dotée d’un algorithme permettant de dessiner automatiquement les routes sur une carte vierge. L’entreprise récolte ces données par les puces GPS présentes dans les smartphones des utilisateurs de Waze. Mais le contenu de cette application est également créé par la communauté des « wazers » grâce à l’outil Map Editor. Waze délègue alors toute la gestion technique de l’application à sa communauté.
Une application gratuite brassant des millions de chiffre d’affaire
Contrairement à de nombreuses applications, le modèle économique de Waze ne repose pas sur un service payant qui pourrait limiter le nombre d’utilisateurs. Il s’appuie avant tout sur la publicité. L’application dispose d’un certain nombre de données sur chaque utilisateur récupéré par la puce GPS de l’appareil utilisé. Il est alors très aisé pour l’application de faire de la publicité dite ciblée. Les annonceurs touchent directement les consommateurs pendant que Waze engrange des bénéfices en vendant le droit aux annonceurs d’utiliser leur application pour ce faire. Cet énorme potentiel publicitaire intéressera très rapidement les géants du net. Ainsi, pour près de 966 millions de dollars, la start-up ne résistera pas à son rachat en 2013 par Alphabet, maison mère de Google. En effet, à l’époque Waze affichait déjà plus de 60 millions de dollars de chiffre d’affaire publicitaire. Cependant, les deux entreprises restent à l’heure actuelle deux applications distinctes et indépendantes. Ainsi, Waze n’utilise pas les données de Google Maps et conserve sa propre carte. En revanche, la réciproque n’est pas toujours vraie puisque Google dispose par Waze d’une nouvelle plateforme avec un énorme potentiel publicitaire. Il est alors relativement simple pour le géant du web de monétiser l’application.
Waze une application GPS pas comme les autres
Avec Waze, on peut chercher une adresse, planifier un trajet et même être guidé par des instructions vocales… comme tout GPS peut-on dire. Mais la popularité de cette application repose principalement sur deux grands facteurs. Son fonctionnement est plus simple d’abord : l’inscription gratuite se fait soit par un compte Facebook soit par son numéro de portable pour activer le GPS. Mais c’est son algorithme qui rend Waze si unique. Grâce aux signalements des « wazers », l’application avertit en temps réels le conducteur des dangers, accidents, zones de radar, etc. L’utilisateur est donc tenu au courant en permanence de l’état du trafic routier. L’application GPS peut alors, pour pallier toutes ces difficultés, proposer des itinéraires alternatifs comme des « itinéraires anti-bouchons ».
Un algorithme en mal de connaissances territoriales
Chaque jour des milliers d’automobilistes quittent les grandes voies, trop souvent embouteillées, pour rejoindre les itinéraires anti-bouchons proposés par Waze. Ces automobilistes ravis de gagner quelques minutes de trajet provoquent pourtant la colère de certains habitants. En déviant les usagers vers d’autres routes, l’application favorise la fréquentation de chemins n’étant pas pensé pour supporter cette soudaine influence. Les conséquences en sont alors nombreuses comme la multiplication de voitures dans des quartiers résidentiels normalement tranquilles. Les habitants se plaignent des multiples nuisances comme la pollution mais aussi le bruit. Certains s’inquiètent pour la sécurité de leurs enfants qui doivent marcher à pied sur des routes maintenant très passantes. La planification des routes et de leurs spécificités prend alors toute son importance.
La ville de Meudon contre-attaque
Face à cette colère grandissante, des maires se dressent contre Waze. Des villes mettent alors en place de nouvelles mesures visant à mieux contrôler le flux routier face aux flots générés par l’application. La municipalité de Meudon (Hauts-de-Seine) est une des premières à avoir agi directement contre les applications GPS. Installé en novembre 2018, un panneau signale désormais « sens interdit sauf riverains » à l’entrée de la rue de la Belgique. Cette dernière était devenue l’axe préféré des itinéraires alternatifs de ces applications de guidage. La situation géographique de Meudon lui permet en effet de s’établir comme zone de transit entre Paris et le reste de la banlieue sud-ouest de la capitale. Mais ces applications GPS ne font que reporter le bouchon dans des zones n’étant pas pensées initialement pour accueillir autant d’automobiliste. Les habitants sont alors pris dans des embouteillages entrainant pollution et bruit de moteur, bien loin de leur tranquillité de quartier. Le maire de Meudon s’inquiète également de l’afflux de camions s’engageant sur les petites rues de sa ville. La municipalité a donc installé, grâce au financement du Grand Paris Seine Ouest, des feux tricolores, des chicanes et un carrefour à sens giratoire.
Jouer avec un algorithme : le cas de la ville de Lieusaint
Meudon n’est pas un cas isolé des vises de Waze détournant les automobilistes des bouchons de la Francilienne vers des centre-ville de petites agglomérations. Dès début 2019 Lieusaint, commune de Seine-et-Marne, se félicitait de sa victoire face à l’application. La commune de 12 000 habitants décide alors de jouer directement avec Waze en trompant son algorithme. Tout d’abord le maire fait installer des feux tricolores pour ralentir le trafic et donc rallonger le temps du trajet calculé par l’algorithme de l’application GPS. Le même raisonnement justifie également le placement en sens unique de plusieurs rues. Par toutes ces mesures, la municipalité souhaite tromper le temps de trajet calculé par l’application afin qu’elle propose d’autres itinéraires en dehors de la commune. Notons également que Waze a aussi fait quelques efforts de son côté. L’application a en effet déclaré la modification des itinéraires ne devant plus passer près des écoles ou dans des rues résidentielles.
Et les autres alors ?
Cette application numérique, comme bien d’autres, facilite donc la vie de certains, tout en provoquant la colère d’autres. En effet, Waze a permis ce que les physiciens pensaient impossible : gagner du temps. Mais en proposant des itinéraires alternatifs, elle n’a fait que déplacer les bouchons vers des zones n’étant pas prêtes à les accueillir. Certaines communes ont dû alors relever le défi soulevé par cette nouvelle problématique urbaine. Par ailleurs, Waze fonctionne grâce à la densification de ses utilisateurs. Quant est-il alors des zones peu peuplées où le réseau est instable ou inexistant ? L’application Waze soulève alors des problématiques plus générales concernant l’accessibilité du numérique.
L.D
Bibliographie
- Champeau, Guillaume, « Google a payé 966 millions de dollars pour acheter Waze », Numerama, 29 Juillet 2013, en ligne : https://www.numerama.com/magazine/26354-google-a-paye-966-millions-de-dollars-pour-acheter-waze.html {consulté le 04/03/20}
- Colombain, Jérôme, « Nouveau monde. Un artiste provoque des embouteillages virtuels sur Google Maps », Franceinfo, 4 Février 2020, en ligne : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/nouveau-monde/nouveau-monde-du-lundi-3-fevrier-2020-un-artiste-provoque-des-embouteillages-virtuels-sur-google-maps_3792307.html {consulté le 05/03/20}
- Google, « Le business model de Waze ? Sa communauté et la pub contextualisée », Think with Google, Aout 2016, en ligne : https://www.thinkwithgoogle.com/intl/fr-fr/inspirations/temoignages/le-business-model-de-waze-sa-communaute-et-la-pub-contextualisee/ {consulté le 04/03/20}
- Parrot, Clément, « « C’était devenu apocalyptique » : à Meudon, le maire a débarrassé une rue des embouteillages provoqués par l’application Waze », Franceinfo, 3 Décembre 2019, en ligne : https://www.francetvinfo.fr/elections/municipales/mon-maire/c-etait-devenu-apocalyptique-a-meudon-le-maire-a-debarrasse-une-rue-des-embouteillages-provoques-par-l-application-waze_3712737.html {consulté le 05/03/20}
- Signoret, Perrine, « Lieusaint contre Waze : comment une ville française se bat contre les itinéraires intelligents », Numerama, 15 Décembre 2019, en ligne : https://www.numerama.com/tech/455455-lieusaint-contre-waze-comment-une-ville-francaise-se-bat-contre-les-itineraires-intelligents.html {consulté le 04/03/20}
- Site de l’application Waze : https://www.waze.com
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