Les navettes autonomes : avant-goût tourmenté de la mobilité urbaine de demain

Le SYTRAL pourra peut-être se targuer d’avoir mis sur pied une solution de mobilité capitale. Depuis novembre 2019, l’autorité organisatrice de la mobilité dans l’agglomération lyonnaise expérimente en effet la mise en circulation de navettes autonomes en milieu urbain. Concrètement, la nouvelle ligne N1 est venue se greffer au réseau traditionnel exploité par TCL.

Certes, cette ligne test gratuite se limite à une liaison d’1,4 kilomètre entre Décines-Grand Large et le Groupama Stadium, dans la banlieue Est de Lyon. Mais l’ambition globale n’est pas cachée. Il s’agit d’une première pierre posée qui appelle d’autres expérimentations à venir dans la Métropole. L’objectif est de démontrer dans les conditions du réel la capacité de ces véhicules électriques à assurer « les derniers kilomètres » des déplacements. Il s’agirait de desservir plus finement des espaces laissés pour compte en matière de transports publics, notamment dans le péri-urbain. A terme, en cas de réussite avérée, les navettes autonomes pourraient servir le développement du transport à la demande. Cette organisation plus individualisée de la mobilité viendrait alors balayer la conception actuelle de l’offre, caractérisée par sa rigidité.           

Un volontarisme français à la hauteur de l’enjeu

L’initiative développée à Lyon est en effet le fruit du programme de recherche AVENUE auquel ont contribué plusieurs métropoles européennes. Navya, l’entreprise française à qui l’on doit les véhicules utilisés, fait office de référence dans le domaine et exporte avec enthousiasme ses prouesses aux Etats-Unis. Auréolée de son succès initial à Lyon, elle entend même « proposer, avec les villes et les sites privés, un service de mobilité révolutionnaire ». Cette histoire avait d’ailleurs connu une première étape marquante en 2016. Un véhicule prototype imaginé par Navya avait commencé à arpenter le quartier piéton de Confluence, déjà entre Rhône et Saône, pour une répétition générale.

L’Etat a saisi l’importance d’accélérer le mouvement pour développer ces initiatives. Souhaitant concilier la réalisation d’une transition énergétique à l’échelle des villes et l’avènement des « Smart Cities », l’ancienne Ministre des Transports, Elisabeth Borne, a proposé en 2018 une stratégie nationale pour les véhicules autonomes et annoncé la multiplication des expérimentations. La Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) votée le 19 novembre 2019 a de plus aboli un certain nombre de barrières qui limitaient jusqu’alors la portée des expérimentations menées. Désormais, les navettes pourront circuler sans opérateur à bord puisqu’une surveillance à distance est rendue possible. Ce verrou législatif représentait un frein symbolique puisque le législateur restait prudent sur la fiabilité du dispositif. Surtout, les opérateurs de mobilité se félicitent de cette décision pour ses conséquences économiques : on anticipe en effet un déblocage global grâce à la réduction des coûts d’exploitation.

Mais cette progression au niveau de l’efficience économique n’est pas suffisante pour estomper les doutes initiaux. En 2017, 56 % des Français interrogés par Opinion Way disaient ne pas faire confiance aux véhicules autonomes. Des questionnements sur les défis techniques à relever subsistent ainsi chez les observateurs les plus sceptiques : composer avec la circulation environnante et ses imprévus n’est pas une mince affaire. Le modèle MiA en circulation sur la ligne N1 de TCL a été paramétré pour appréhender avec précision les caractéristiques de la voirie sur son parcours et pour interagir avec les éléments de signalisation. Son comportement dans la durée donnera des éléments de réponse sur cet enjeu qui décidera semble-t-il de la viabilité des navettes autonomes.

Le chemin est encore long et incertain

Il faut dire que sur l’esplanade de La Défense où elle était mise à l’épreuve, l’ « Autonom Shuttle » de Navya a déçu. Loin de la prouesse technologique espérée, l’expérimentation menée pendant 2 ans dans le quartier d’affaires francilien n’a pas convaincu puisque l’établissement public gestionnaire n’a pas souhaité la reconduire. Et pour cause, les difficultés à s’adapter au changement d’environnement sont massivement pointées du doigt. D’aucuns rétorqueront que le parvis piéton de La Défense n’était pas le type d’espace idéal pour le développement des navettes autonomes. Mais la mise à l’épreuve a révélé des failles incontestables et même une mise à l’arrêt en raison d’un « incident technique ».

Navya concède d’ailleurs un certain retard dans l’évolution technologique qui avait été planifiée. Les difficultés observées traduisent un manque d’acuité dans la perception des obstacles rencontrés, ainsi qu’un discernement limité des différents types d’usagers de la route. En conséquence, l’adaptation de la vitesse en fonction des situations est peu satisfaisante. La progression espérée de la vitesse en circulation n’a en outre pas eu lieu : la navette lyonnaise plafonne à une vitesse moyenne de 18 km/h

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« Navya concède un certain retard dans l’évolution technologique qui avait été planifiée»

Outre les aspects purement techniques, le modèle de mobilité auquel se rattachent les navettes autonomes peut poser problème. Comme on le voit par exemple avec l’automatisation planifiée des lignes de métro dans plusieurs villes françaises, le transport de voyageurs est en pleine phase de transition vers le tout-robotisé. Or, plus d’1,4 million de personnes travaillaient dans le secteur du transport en 2019, faisant de celui-ci un domaine fortement pourvoyeur d’emplois. A la fois dans le transport de marchandises et dans le transport de voyageurs, les emplois menacés sont souvent ceux de chauffeurs, c’est-à-dire des postes requérant un faible niveau de qualification occupés par des personnes relativement précaires sur le marché du travail. Le discours présentant ces avancées technologiques comme des opportunités économiques est alors contestable d’un point de vue social. Doit-on réellement favoriser une potentielle contraction des coûts de fonctionnement au risque de causer une violence sociale non négligeable ?  

La question mérite en tout cas d’être posée même si elle ne semble pour l’instant pas être en mesure d’enrayer la mécanique du progrès. Néanmoins, elle pourrait réapparaître lorsque les expérimentales navettes autonomes, pensées comme des compléments en appui de l’offre de transport existante, seront suivies par les bus. Alors que la RATP réfléchit à automatiser les tramways et que la SNCF songe à faire de même pour les trains, la Chine a pris une longueur d’avance sur la route. En effet, la ville de Zhengzhou expérimente depuis 2015 un bus autonome conçu par le fabriquant local Yutong. Ce prototype a pu circuler sur plusieurs dizaines de kilomètres dans des conditions réelles et avec des passagers à bord. De quoi rendre d’autant moins obscure l’hypothèse d’une automatisation prochaine des lignes de bus que nous connaissons aujourd’hui.

La 5G encore au centre de l’attention

L’avance significative qu’a prise la Chine dans la course aux véhicules autonomes tient en partie son explication dans le développement de la 5G. En effet, cette nouvelle génération de réseau téléphonique est pour le moment une quasi chasse gardée de l’Empire du Milieu dans sa dimension opérationnelle. Le pays est d’ailleurs partie prenante de son développement à l’étranger via Huawei, le fabricant chinois qui domine le marché des équipements 5G.

La France, quant à elle, accuse un certain retard en la matière. Contrairement à la Suisse et à la Finlande en Europe, ou encore à la Corée du Sud, l’Hexagone n’est pas encore paré d’antennes 5G. Le développement de cette technologie est en effet freiné par plusieurs éléments. D’une part, l’Union Européenne peine à trouver une stratégie commune sur le sujet, alors même que la question est devenue un enjeu géopolitique impliquant les Etats-Unis et la Chine. D’autre part, des réticences se font jour chez certaines associations et la crise du coronavirus a retardé l’attribution de fréquences aux opérateurs, laquelle devait débuter le 21 avril 2020.      

Or le fonctionnement des véhicules autonomes est intrinsèquement lié à la 5G. Bon nombre de constructeurs comme PSA Peugeot-Citroën ou BMW ont ainsi mené des essais en collaboration avec des fabricants et opérateurs 5G, notamment en Corée. Navya a par ailleurs signé un partenariat avec l’opérateur coréen SK Telecom pour mener conjointement des opérations de recherche et développement. Les acteurs qui gravitent autour de cette technologie de réseau sont donc directement impliqués dans le processus de réflexion.

« Le fonctionnement des véhicules autonomes est intrinsèquement lié à la 5G »

Laurent Martini, Directeur Général de Pure Storage France, une entreprise américaine spécialisée dans le stockage de données, va même plus loin. Selon lui, les acteurs qui innoveront le plus dans l’utilisation de la 5G feront la différence dans la course aux véhicules autonomes. Ainsi, « la 5G va permettre d’accélérer la vitesse de traitement des données, permettant une plus grande précision et des temps de réponse plus rapides pour la télématique au service des véhicules autonomes ». Une meilleure vitesse de circulation de la donnée, c’est plus de données collectées, et donc davantage d’informations transmises à l’intelligence artificielle pour s’adapter.    

Il semble ainsi que l’automobile autonome et la 5G soient imbriquées, à tel point qu’un hypothétique coup d’arrêt donné à cette dernière en France pourrait condamner le passage à grande échelle dans une nouvelle ère des usages de la route. Les rêves d’une révolution de la mobilité urbaine s’envoleraient également. 

Quoi qu’il en soit, comme le résume Eric Béziat pour Le Monde, les navettes autonomes n’ont encore jamais « démontré une capacité à offrir un service de transport à la fois fiable, confortable, régulier et plus rapide que la vitesse d’un piéton ».

Martin MUNIER-JOLAIN


Sources :

Communiqué de presse du SYTRAL, mars 2019
http://www.sytral.fr/uploads/Externe/3e/344_507_cpessaisnavettestcl.pdf

https://h2020-avenue.eu/

https://www.navya-corp.com/index.php/fr/navya/mission-vision

France Soir, « Coup de pouce pour le développement des véhicules sans chauffeur », 19 décembre 2019
http://www.francesoir.fr/societe-economie/coup-daccelerateur-pour-le-developpement-des-vehicules-sans-chauffeur

La Gazette des Communes, « Les navettes autonomes sur la bonne voie », 29 novembre 2019
https://www.lagazettedescommunes.com/649130/les-navettes-autonomes-sur-la-bonne-voie/

Leïla Marchand, Les Echos, « Plus d’un Français sur deux a peur des voitures autonomes », 3 août 2017
https://www.lesechos.fr/2017/08/plus-dun-francais-sur-deux-a-peur-des-voitures-autonomes-180810

Jean-Bernard Litzler, Le Figaro, « Déçue par sa navette autonome, La Défense arrête l’expérience », 15 juillet 2019
 https://immobilier.lefigaro.fr/article/decue-par-sa-navette-autonome-la-defense-arrete-l-experience_21ebcd88-a4d5-11e9-a13f-3957458a90bd/

https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/les-navettes-autonomes-sur-les-routes-en-france-74661/

Commissariat Général au Développement Durable, « Chiffres Clés du Transport, édition 2019 »
https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2019-04/datalab-52-chiffres-cles-du-transport-avril2019.pdf

Guillaume Joly, Les Horizons, « Ces navettes autonomes qui sillonnent la France », 1er mars 2019
https://leshorizons.net/navettes-autonomes-sillonnent-france/

http://www.busetcar.com/la-chine-opere-la-premiere-ligne-de-bus-autonome-5g/

Bruno Mouly, Les Echos, « Voiture autonome et connectée : le point sur les expérimentations », 11 avril 2018
https://www.lesechos.fr/2018/04/voiture-autonome-et-connectee-le-point-sur-les-experimentations-970836

https://www.usine-digitale.fr/article/navya-le-specialiste-francais-des-navettes-autonomes-se-rapproche-du-coreen-esmo.N860580

https://www.usinenouvelle.com/editorial/la-course-au-vehicule-autonome-passera-par-l-ia-et-la-5g.N874515

Eric Béziat, Le Monde, « Les navettes autonomes NAVYA, lentes et inadaptées, éjectées de La Défense », 15 juillet 2019
 https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/07/15/les-navettes-autonomes-navya-lentes-et-inadaptees-ejectees-de-la-defense_5489652_3234.html

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