Le mouvement de la Civic Tech regroupe les initiatives qui cherchent à faire participer de manière plus large les citoyens à la vie politique locale ou nationale. Parmi ses différentes formes, les civictechs peuvent se traduire dans des « applications citoyennes » au carrefour entre l’innovation et le service public, telles que Fluicity, , et ont pour objectif d’apporter un nouveau souffle à la vie démocratique locale.
Fluicity est une plateforme fondée par Julie de Pimodan en 2015 et faisait partie de la sélection « 100 start-up où investir en 2019 » de Challenges, preuve de son dynamisme. Sa fondatrice s’est fondée sur le constat du décalage entre les informations divulguées par les journaux municipaux et les habitants, qui ont de plus en plus l’habitude de recevoir des informations ciblées et personnalisées via les réseaux sociaux et autres technologies numériques. L’entreprise décroche son premier client en 2016 : il s’agit de la ville de Vernon, dans l’Eure, dont le maire M. Lecornu est devenu par la suite ministre et organisateur du Grand débat national.
Le but de la ville de Vernon est de permettre au plus grand nombre de citoyens de se joindre aux décisions prises par la mairie et de récolter leur opinion à une plus grande échelle que seulement les personnes présentes aux réunions. Deux sortes d’utilisateurs qui interagissent entre eux sur l’application sont définis : d’un côté, le « citoyen », qui peut s’informer, voter et faire remonter ses suggestions, et de l’autre côté le « contributeur » comme la collectivité, mais également les associations, les commerces, les établissements scolaires ou bien encore les conseils de quartier, ce qui fait de l’application un « réseau social de la ville ». Grâce à Fluicity, tous les citoyens peuvent recevoir de l’information personnalisée sur ce qu’il se passe dans leur ville et dans leur quartier.
Concrètement, la commune de Vernon reçoit via l’application des idées ou des questions comme par exemple une personne qui s’interroge sur la raison du changement de nom d’une école maternelle de la ville, ou une autre qui fait remarque que les boxes à vélo de la gare sont bloqués par de vieux vélos abandonnés. L’intérêt de Fluicity se trouve alors dans la possibilité pour la commune de répondre en direct à ses habitants et de prendre en compte leurs remarques plus facilement, et plus rapidement.
L’objectif affiché est ainsi prometteur à l’heure où les élections municipales atteignent 40% d’abstention (résultats de 2014) dans la ville et où la lassitude, la méfiance voire la défiance à l’égard des élu.e.s est mise en exergue par le mouvement des Gilets jaunes. Néanmoins, cette application rencontre quelques limites : au 24 mars 2020, Fluicity est utilisée par 3253 citoyen(ne)s, et compte 4119 contributions citoyennes, dont 29 idées concrétisées. Cela signifie qu’aujourd’hui, ce sont 15,48% des plus de 15 ans qui sont inscrits sur la plateforme : ce score est au-dessus des 10% que se fixent généralement pour objectif minimum les maires, mais ces 15% restent encore une minorité de la population, ce qui interroge la validité des résultats des sondages et des votes réalisées via l’application.
De manière générale, un sondage réalisé par le think tank Décider ensemble en 2016 montrait que seul un tiers des municipalités qui ont déployé ces outils estiment toucher des publics nouveaux, et que la moitié seulement est satisfaite du nombre de citoyens impliqués. Comme tout outil numérique, Fluicity exclut de fait par son support (une application pour smartphone qui requiert Internet) une partie de la population. Même si la municipalité peut essayer de veiller à ne pas privilégier certaines catégories de population plus à l’aise sur ce type d’outils, on voit mal comment amener les personnes âgées par exemple à s’emparer de ce service.
La question des données est également un enjeu de taille : selon le Baromètre de la démocratie locale numérique édition 2018 du même think tank, 30% des communes déclaraient que leurs citoyens doivent fournir des informations personnelles comme l’identité et l’adresse pour participer. Concernant les données des utilisateurs, 48% des communes les conservent après la clôture du processus et 19% les utilisent à des fins communicationnelles. 24% des collectivités qui ont répondu au sondage ont également indiqué ne pas savoir qui est propriétaire des données produites par les utilisateurs, ce qui pose aussi question. La fondatrice de Fluicity déclarait à l’inverse en 2016 que l’application ne livre aux mairies que des métadonnées, et que les données récoltées par l’application ne sont pas utilisées à des fins commerciales. Néanmoins, l’idée de confier le débat public à des plateformes privées est controversée : si les start-up se veulent « éthiques » ou vertueuses lors de leur création, le risque qu’elles soient rachetées par un groupe plus important existe. Cela entraînerait le croisement de données, ce qui n’est pas possible si les plateformes sont conçues avec des règles fixées par toutes les parties prenantes.
L’ancien maire de Vernon semblait sensible à la question de la participation des citoyens aux décisions municipales via Fluicity. Cependant, de manière plus générale, le risque de « civic washing » ne doit pas être négligé. Ce terme décrit l’interrogation des promoteurs des civictechs quant à la véritable volonté des équipes municipales de changer les choses, ou pas.
Par ailleurs, alors que le mouvement des Civic Tech dont fait partie Fluicity se veut participatif, on s’aperçoit pourtant que la communication se fait surtout dans un sens vertical et descendant plutôt qu’horizontal. L’enquête du think tank Décider ensemble interrogeait ainsi les municipalités sur leurs besoins et montrait que « la mise à disposition d’informations » est largement citée (70%), alors que l’objectif de « faire émerger les idées, éclairer la décision » est loin derrière (30%). Ces chiffres montrent que les applications citoyennes peuvent être « détournées » de leur but affiché initial.
La conférence du 20 février 2020 intitulée « Les civictechs pour une démocratie plus inclusive ? » organisée à Paris mettaient ainsi en exergue trois défis principaux posés notamment à ces applications citoyennes, résumant ainsi les enjeux soulevés dans cet article : la représentativité des débats, l’appropriation des outils et la qualité des contributions. Ces plateformes numériques que sont les applications citoyennes telles que Fluicity peuvent trouver leur intérêt si elles complètent une démarche plus large qui vise à promouvoir la participation des habitant(e)s aux décisions municipales et que les équipes municipales souhaitent véritablement écouter leurs citoyen(ne)s.
A. T.
Sources :
Akrich, Lucile, « Comment fonctionne l’application « Fluicity » ? », Le Démocrate Vernonnais, 10 novembre 2015, en ligne : https://actu.fr/normandie/vernon_27681/comment-fonctionne-lapplication-fluicity_10698230.html
Berenguer Moncada, Joel, « Compte-rendu – Les civictechs pour une démocratie plus inclusive ? », 2 mars 2020, en ligne : https://www.deciderensemble.com/articles/51145-compte-rendu-les-civictechs-pour-une-democratie-plus-inclusive
Challenges.fr, « Fluicity : être citoyen au quotidien », Challenges, 27 mars 2019, en ligne : https://www.challenges.fr/start-up/fluicity-etre-citoyen-au-quotidien_648698
Fluicity, « Cas d’usage – A Vernon : première remontée d’idées citoyennes réussie ! », en ligne : https://get.flui.city/blog/fluicity-a-vernon-premiere-remontee-idees-citoyenne-reussie/
Legros, Claire, « « Civic Tech » : des applis pour doper la démocratie en ville », Le Monde, 12 juillet 2016, en ligne : https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2016/07/14/civic-tech-des-applis-pour-doper-la-democratie-participative_4969481_4811534.html
Le Monde, « Fluicity, l’application qui active la participation citoyenne », Le Monde, en ligne : https://www.lemonde.fr/les-villes-d-un-monde-qui-change/article/2015/11/18/fluicity-l-application-qui-active-la-participation-citoyenne_4812724_4810823.html
Site de la ville de Vernon (27), http://www.vernon27.fr/fluicity/
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