« La société de la trace est une société qui a précisément besoin de notre libre arbitre afin d’en collecter les traces et d’en nourrir ses dispositifs d’aliénation optimale. Qui a d’abord besoin de savoir chaque jours ce qu’on aime au plus profond de notre intimité, pour nous faire des propositions qu’on ne pourra ou qu’on ne saura refuser »
Alain Damasio, Les Furtifs, La volte, 2019, page 617.

L’argument « prenez mes données, je n’ai rien à planquer» revient-il à dire « je n’ai rien à dire, prenez ma liberté d’expression » ? C’est en tout cas ce qu’affirme Edward Snowden expliquant que « même si vous n’utilisez pas vos droits aujourd’hui, d’autres en ont besoin ».
Ici deux enjeux intrinsèquement interdépendants apparaissent. La (non)volonté de cacher ses données et la possibilité qui nous ai donné de les cacher dans une société urbaine ou les flux matérielles et digitalisés sont innombrables, chacun charriant des informations.
Cependant peut-on comparer le droit au contrôle de ses données à la liberté d’expression ? D’un côté la liberté d’expression est un droit historique, qui est bien évident largement antérieur à la création d’internet. De l’autre, ces deux droits se trouvent à la frontière entre des considérations individuelles (1) et les intérêts de la société (2).
1- En effet les données sensibles sont éminemment individuelles. Ces données sont des empreintes digitales, un numéro de téléphone, une adresse IP. A elles seules, les informations : âge, genre et code postale permettent d’identifier un individu. Ces données permettent notamment à des plateformes de nous proposer des services. Des services personnalisés comme Waze qui vous propose des itinéraires à partir de l’ensemble des données des utilisateurs du moment. Des services marchandables mais aussi utilisables à d’autres fin que celles auxquelles nous pensons de prime abord à l’instar de surveillance sur des lieux publics (lycées, centre commerciaux, métro…) ou public (surveillance de la NSA par exemple). Nous rappelant que chacun, peut avoir un jour quelque chose à cacher. Notons que ces données nécessitent deux conditions majeures. D’une part un environnement dense en information et codé, dont l’urbain constitue un terrain propice par la massification des interactions et des suivis permettant le traitement de donnée de masse. D’autre part une territorialisation des informations, qui par leur spatialisation situent les individus et les inscrivent dans un espace partagé par tous.tes.
2- En plus de leur utilisation individualisée les données sont massifiables, représentant un enjeu de taille pour le collectif. Car oui, nous produisons un tas de données recoupables (en bornant sur notre chemin à des bornes relais avec nos téléphones par exemple), en somme des actions faites involontairement. Et qui dit involontairement dit non consentement à leur utilisation. Les données deviennent donc des objets ni concédées avec notre assentiment, ni refusées clairement, rappelant l’expression célèbre : Si c’est gratuit c’est toi le produit. Un argument d’autant plus saillant dans les villes où les systèmes de récolte d’informations peuvent se substituer les uns aux autres.
Dans notre société projets lucratifs et intentions politiques ne sont pas dissociables. Tant les schémas de consommation de masse orientées par la massification des données (Big data) influent nos sociétés. En témoigne l’utilisation en mars 2016 par CambridgeAnalytica de donnée personnelle à des fins politiques, mettant aux jours la dimension sociétal du problème. Le databrokers CambridgeAnalytica, avait pour mission de réfléchir à la conception d’un logiciel permettant d’anticiper le vote et de cibler la publicité. Alors 87 millions d’utilisateur ont été ciblé. Ainsi Donald Trump et ses équipes n’ont pas exploité une à une les données qui leur ont été transmise mais ils ont exploité la masse de donnée mise à leur disposition pour cibler leur campagne. Cibler à partir des likes facebook, des relations. Soit des données qui ne sont donc pas sensibles, mais dont l’utilisation massive peut permettre d’influer sur le court de la démocratie.
Si les données livrées ne sont pas sensibles, si « on n’a rien à cacher » néanmoins leur utilisation sous-jacente peut aller bien plus loin et gouverner nos sphères politiques, sociales et économiques .
Le défi est considérable. Des réponses institutionnelles telles que le règlement général sur la protection des données ou des réponses associatives à l’instar de la classaction portée par l’internet society , se sont essayées à résoudre un tel problème. Comment politiser de tels micro-engagements dans nos univers urbains interdépendants ? Si en théorie les utilisateurs détiennent leur part de responsabilité en signant les chartes de conditions générales d’utilisation d’un service numérique la réalité est bien différente . Comment faire prendre conscience de la portée de nos dons systématiques de données personnelles ?
E.G
Sources :
[film] Marc Meillassoux, « Nothing to Hide », 2016.
[film] Laura Poitras, Citizenfour, 2014.
[Livre] Kitchin, Rob (2016) Getting smarter about smart cities:Improving data privacy and data security. Data ProtectionUnit, Department of the Taoiseach, Dublin.
[Podcast] « Comment se portent nos données ? » de Besoin de rien, envie de droit.