Le constat d’un « fossé numérique » en France semble faire consensus et l’Observatoire des inégalités pousse à sa prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques. Le dossier ministériel « Solidarités numériques et politique de la ville : un levier pour réduire les inégalités » met en lumière le cas particulier des Zones Urbaines Sensibles (ZUS). Il explique la spécificité de ces populations et comment les politiques locales, par l’utilisation d’outils spécifiques (ici les Espaces Publics Numériques), tentent de lutter contre « l’inégalité d’usage » constatée.
Selon l’Observatoire des inégalités (association loi 1901 reconnue d’intérêt général), « les inégalités d’accès aux nouvelles technologies diminuent très nettement. Reste que 15 % de la population n’utilise pas Internet », soit environ dix millions de personnes en France. Cet état des lieux semble un préalable nécessaire à ce propos. Cette nette diminution s’est retranscrite dans le vocabulaire spécifique, on ne parle plus aujourd’hui de « fracture numérique » mais de « fossé numérique » ou « d’inclusion progressive au numérique ». Toutefois, on observe que les personnes ne l’ayant toujours pas semblent progressivement plus marginalisées par rapport à une tendance sociétale majeure. La fracture numérique n’est alors pas que technologique, elle est aussi sociale, économique et culturelle.
Selon cet article de l’Agoravox (qui trouve ses sources dans les études du CREDOC), on observe trois causes de l’exclusion numérique en France :
- Générationnelle : les populations les plus âgées restent isolées d’internet dont ils ne voient pas toujours l’utilité.
- Géographique : les zones rurales et de haute montagne sont inégalement desservies en réseau, on parle de « zones blanches ».
- Économique et sociale : l’achat d’outils numériques est onéreux et leur usage révèle de fortes inégalités.
C’est au travers de la cause économique et sociale que nous interprétons le cas des quartiers prioritaires.
En effet selon l’Observatoire des inégalités, le taux d’exclusion numérique « atteint 25 % pour les plus démunis (foyers dont les revenus médians sont d’environ 1 200 euros mensuels) et 43 % pour les non-diplômés ». De plus, une étude comparative de cette même association montre que 38 % des personnes ayant des revenus inférieurs à 900 euros par mois sont équipés en internet à domicile contre 67 % pour la population en France. Toutefois, on observe de manière paradoxale, que dans les quartiers prioritaires, le taux d’équipement en ordinateur (62,9%), en téléphone portable (85%) et l’utilisation des points d’accès dans l’espace public (27%) est en corrélation presque parfaite avec les taux nationaux, voire supérieure (69,4%, 81% et 9% respectivement). Ainsi, ces zones ne semblent pas être victimes d’inégalités d’accès aux réseaux (cela s’explique par le fait que ce sont des espaces urbains denses) ni de capacité à s’équiper à domicile. Pourtant, c’est dans l’usage des outils multimédias et des services de l’internet que le fossé se creuse. On observe un grand déficit de maîtrise des outils et un manque criant d’accompagnement à leur usage. Selon le rapport de Ville au carré, « depuis quelques années, de nouvelles dynamiques de territoire se créent grâce au numérique, mais les quartiers populaires restent souvent en marge de ces progrès, pas tant par déficit d’infrastructure que par manque de formation à des usages créatifs, professionnels ou citoyens ». En effet, le dossier ministériel « Solidarités numériques et politique de la ville » écrit que « ces disparités s’expliquent par une accumulation de facteurs économiques, culturels et linguistiques défavorables. Elles démontrent qu’il existe une fracture numérique au sein même des quartiers et qu’elles touchent des populations particulièrement sensibles : les seniors, les chômeurs et bénéficiaires de minima sociaux, les femmes au foyer, les personnes handicapées, les migrants ». Des enjeux importants découlent de ce constat : la question du chômage par exemple lorsque l’on sait qu’aujourd’hui internet est devenu le troisième outil utilisé (63 %) pour trouver un emploi. Selon l’article du Ministère de la Ville, de la jeunesse et des sports, « l’accès et la maîtrise des outils numériques constituent des alliés pour résoudre les inégalités territoriales. Ils sont d’excellents leviers pour réduire les inégalités économiques et sociales : ils permettent, par exemple, de pallier en partie l’insuffisance de réseaux relationnels nécessaires pour accéder à la formation et à l’emploi ».
Les études existantes ont influencé l’État et les collectivités territoriales à s’engager progressivement dans la lutte des inégalités d’usage du numérique. C’est ce qu’ils appellent « la mise en œuvre d’une stratégie territoriale durable du numérique prenant en compte les spécificités des quartiers populaires ». Cette stratégie s’est concrétisée par la mise en écrit d’orientations dans la Politique de la Ville et la mise en place effective de structures locales. Nous prendrons ici l’exemple des Espaces Publics Numérique (EPN). Selon le dossier ministériel, « un espace public numérique propose à ses usagers des activités variées et encadrées par le biais d’ateliers collectifs, mais également dans le cadre de médiations individuelles et de plages réservées à la libre consultation ». On observe ces dernières années une nette augmentation de ces structures dans les quartiers prioritaires. « Dans les EPN, un ou plusieurs animateurs multimédias accompagnent, initient, aident chacun à maîtriser et bien utiliser ces outils et services offerts par internet et plus largement par les technologies de l’information et de la communication ». Dans le cadre des quartiers populaires, ils proposent une « initiation à la recherche d’informations sur internet, vidéo et photo numériques, accompagnement dans la recherche d’emploi, lutte contre l’exclusion, l’illettrisme… ».
Ainsi, le rôle de l’État et des collectivités territoriales est central dans la lutte contre les inégalités d’usage dans les Zones Urbaines Sensibles.
Sur le terrain, les Communes se servent d’outils (détaillés dans le dossier ministériel) afin d’accompagner leur population. En ce qui concerne les EPN, ces espaces permettent de pallier aux obstacles sociaux d’utilisation d’internet et de lutter contre l’isolement des personnes les plus précaires. Selon le programme Net public, « les Espaces Publics Numériques constituent un moyen efficace pour lutter contre la fracture numérique tant matérielle que culturelle. Ils contribuent à promouvoir et à faciliter la découverte au plus grand nombre des principaux usages de l’Internet ». De plus, le règlement leur permet de se développer au sein d’associations locales existantes (pérennisation des subventions, équipement) afin qu’elles puissent jouer ce nouveau rôle social…
Clothilde BERTIN
Image à la Une: Pixabay