Mapper la vacance peut-il sauver Detroit ?

La dégradation rapide de certaines villes des Etats-unis, en partie due à la désindustrialisation, au déclin économique et parfois aux catastrophes naturelles, ont fait apparaître des paysages (devenus typiques depuis): quartiers entièrement abandonnés, rues désolées, multiplication des friches, invasion des mauvaises herbes partout dans la ville, etc. Certes, le tourisme Urbex y fait fureur. Mais les problématiques soulevées par les locaux sont, elles, alarmantes. Ce sont elles que tente de résoudre par la technologie l’application Motor City Mapping.

La dégradation précipitée de la Motor City

Cette vacance, dont la plus célèbre illustration est Detroit, dépasse largement le problème du paysage. Le coût de ces vides n’est pas seulement celui d’un point noir dans l’esthétique d’une ville. En effet, ces dégradations (blight en anglais) s’accompagnent de perte de repères géographiques dans des rues en ruine, permettant d’habitude l’organisation d’une ville, de difficultés à cibler les espaces les plus fragilisés ou encore d’incapacité à stopper l’effet domino de la vacance. Les coûts économiques, sociaux et sanitaires ne font qu’empirer pour les habitants, sans évoquer les conséquences sur la sécurité. Les départs ont été massifs et la qualité de vie est loin d’être décente et viable.

Pour tenter de répondre à ces problématiques, certaines villes se tournent vers ce qui est qualifié de Data-Smart City Solutions. Elles déploient un large éventail de stratégies tournées vers le digital et la data. L’exemple de Detroit, encore une fois, est assez intéressant. En effet, des citoyens activistes ont commencé à privilégier l’utilisation des données pour référencer les parcelles mais également permettre une implication citoyenne à l’échelle du quartier.

Une application pour « blexter »

Loveland Technologies, une entreprise locale de consulting et de financements participatifs, s’est associée avec Data Driven Detroit, une entreprise non lucrative, pour construire une nouvelle base de données concernant la localisation et les conditions de plus de 380 000 parcelles (2013). Des partenaires institutionnels tels que Detroit Land Bank Authority ou Rock Ventures, ont permis en premier lieu le financement et le lancement du projet, suivi ensuite par la création de la base de donnée publique par les organisations locales.

Le site, nommé Motor City Mapping (MCM) en référence à l’économie anciennement florissante de l’automobile, s’appuie sur la participation de 150 volontaires initiaux (souvent amateurs). Le procédé est appelé blexting, ce qui ne correspond à aucune traduction française précise (probablement une abréviation de blight et de text –le fait d’envoyer des messages, un mot que tous ne trouvent pas joli), et qui consiste à utiliser son téléphone mobile et une application spéciale pour photographier chaque propriété et répondre à une liste standard de questions concernant son état. Les volontaires passent au peigne fin chaque bâtiment, parcelles et maisons du quartier qui leur avait été assigné. Cela permet un flux d’informations en direct, ensuite vérifiées par les collaborateurs afin de maintenir une qualité des données et une logique commune. Les participants ont eu droit à une formation, en particulier dû à la tendance à marquer un endroit « à démolir » quand son état était encore bon… Il s’agit donc de données produites par la production participative.

 

Une cartographie digitale comparative

MCM, devenue une force d’action, identifie ainsi les parcelles qui correspondent à la définition de blight donnée par les autorités et compare le résultat de ses données aux informations fournies des services publiques (par exemple, la distribution du courrier a-t-elle toujours lieu, quel lampadaire fonctionne encore). On trouve également les parcelles qui seraient susceptibles de se dégrader (inoccupées, abandonnées ou sous la propriété du gouvernement) ou encore celles qui ont subi des démolitions. Les utilisateurs de l’application peuvent parfois directement demander des renseignements aux habitants à proximité du bâtiment photographié, en particulier dans le cas des occupations « illicites ».

9d8fc9221.pngLes résultats permettent de mettre des « images » sur les chiffres astronomiques qui font la mauvaise réputation de la ville. On compte notamment 6 255 parcelles accumulant les déchets et les encombrants (dumping), 6 845 bâtiments dégradés par des incendies et 27 730 habitations qui devraient être condamnées… Les chiffres et les détails continuent ainsi sur la base de donnée, permettant de localiser et de comprendre une partie de la dégradation et de son accélération.

 

Le grand problème du résidentiel : l’urgence de la situation

Cette cartographie a entre autre permis de réaliser que la plus grande vacance n’était pas tant commerciale ou industrielle, mais résidentielle. Ces cartes d’inventaires illustrent l’urgence des interventions sur les logements (98% de la vacance se trouve dans les zones résidentielles). Cette initiative a aussi souligné les problèmes des saisies immobilières, qui ralentissent l’amélioration des espaces dégradés et qui sont très courantes, et des possibles spéculations des agents immobiliers, sur des terrains à très faibles valeurs. Ces deux fonctionnements sont déjà responsables d’une grande partie du « gruyère » résidentiel qu’est Detroit.

La mairie s’est alors jointe à ces projets, en affirmant vouloir centraliser les données de MCM et de la municipalité dans une base de donnée ouverte et publique (MCM est accessible gratuitement et publiquement). Les habitants pourraient blexter (continuer à utiliser le système de l’application initiale) grâce à une version municipale de l’application de cartographie. Cela permettrait également une régulation des saisies immobilières et des abus de scam (arnaque) que subissent certains habitants.

ef214b6ac.pngVoulant aller plus loin, la municipalité souhaite utiliser un outil Maximizing Community Impact, qui informerait sur la densité d’un quartier, la condition des bâtiments, des emprunts et des saisies, et de la démographie. Si ces données ne choquent pas les citoyens de Detroit, les élus et les activistes des communautés y trouvent des détails précieux aux lancements de projets urbains (où agir et comment évoluent les parcelles).

Ces créateurs de carte analysent les dégradations et les vacances comme un problème politique et social, qui pourrait être grandement amélioré grâce à une meilleure utilisation des données. Ces dernières permettent de réfléchir aux quartiers qui ont besoin d’interventions plus urgentes et penser une planification intelligente des îlots abandonnés. Le numérique est mis à disposition d’un objectif civique, alors même que ce projet est perçu comme d’utilité civile dès le début de sa création.

Le numérique comme bien public pour le bien public

Le PDG de Loveland, Jerry Paffendorf, rappelle que les informations sur les propriétés et les taxes sur chaque bâtiment ont toujours du être publiques, mais que cela a été à un moment oublié. Pourtant, ce sont bien ces questions qui permettent de savoir où et comment opérer, en particulier par l’actualité des données.

Le projet de cartographie numérique et publique souligne la nécessité (que l’on pourrait qualifier ici de vitale…) d’une bonne information et d’une capacité efficace à localiser les parcelles : l’arrivée de la police, des ambulances, et des pompiers, la fermeture des écoles, l’absence de fonctionnement des infrastructures et des utilitaires publiques (lumières etc) en dépendent urgemment. En effet, un des principes premiers de cette initiative est de donner plus de pouvoirs aux acteurs locaux et aux habitants, afin de reprendre un certain contrôle des espaces qu’ils habitent –ceux encore en marge du renouveau de Detroit et qui subissent le plus les conséquences de la dégradation et de la crise économique.

Le succès du projet a permis à Loveland d’étendre sa géographie, devenant le plus large regroupement de données publiques, accessible autant aux agents immobiliers, aux gouvernements locaux qu’aux citoyens, militants et chercheurs. La gratuité du site en fait une compagnie numérique en avance, Paffendorf espérant inspirer des engagements civiques grâce aux cartes. Cette production participative est d’autant plus efficace si elle est nourrie et régulièrement actualisée… Cela implique donc une participation générale et surtout constante, reposant sur la fiabilité, le partage et la confiance entre utilisateurs et volontaires. Les bonnes cartes et le partage de données publiques reposent bien sur l’utilisation qui en est faite. Cela implique à la fois une gestion collective, où les habitants jouent un rôle décisif et opérationnel, numérique en main, et à la fois une attention minutieuse de part de la municipalité, en particulier face à la spéculation immobilière et à l’utilisation abusive de la démolition, qui a enfin une plateforme digitale remarquable à ses côtés.

Reste à savoir si l’ampleur des opérations matérielles sur les parcelles et l’engagement des acteurs municipaux et immobiliers seront à la hauteur des attentes d’une Reborn Smart City…

Gabrielle Guezennec

 

Crédit photo à la une : »Rebirth » de sj carey

rebirth

 

Sources :

https://motorcitymapping.org/#t=overview&s=detroit&f=all

http://www.govtech.com/fs/data/Battling-Blight-Four-Ways-Cities-Are-Using-Data-to-Address-Vacant-Properties.html

 

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