Songdo, la ville intelligente en Corée du Sud
Les projets de ville nouvelle se multiplient dans le monde depuis les années 2000. Ces villes naissent d’une volonté politique et se construisent dans un site naguère peu ou pas urbanisé ni peuplé. C’est une logique qui gagne surtout les villes du Sud car dans les pays dit du « Nord économique », l’âge d’or des villes nouvelles est derrière nous.
Ces projets fleurissent selon des caractéristiques communes : appel à des architectes prestigieux, promotion d’un entre soi volontaire au sein d’un environnement vert, intelligent, pour une classe moyenne idéalisée et sécurisée. A l’image de Songdo, ville nouvelle sud-coréenne, ces projets se construisent selon une programmation en amont qui manque de réalisme et a du mal à envisager ce qu’il se passera quand sera habitée, ou justement inhabitée…
Songdo, une ville ex nihilo sur la mer Jaune
Construite en 15 ans sur un polder sur la mer Jaune, Songdo est le fruit d’un consortium d’investisseurs privés. En 2001, les autorités de la ville d’Incheon, voisine de Séoul, décident de créer une zone spéciale comme une place forte de l’innovation urbaine. L’objectif initial était de bâtir un hub économique international qui attirerait les multinationales de Singapour et Hong-Kong. Ce faisant timides, les firmes multinationales ont laissé la place à un projet de smart city dont le coût s’est élevé à 40 milliards de dollars, financés par une alliance public-privé.
Laboratoire d’innovation, promesse de protection
Une habitante se confie
« Ici, il n’y a jamais de problème. Tout semble être arrangé pour que les habitants ne soient pas dérangés »
Et
en effet : Songdo est présenté comme le laboratoire de la ville intelligente du
futur. L’ambition est d’y tester en conditions réelles les infrastructures qui
contribueront demain à l’émergence de la ville intelligente. Pour cela, les activités
des habitants sont traitées en permanence suite à la récolte de leurs données. Tout est
connecté et numérique : les foyers peuvent suivre leur consommation d’énergie
et d’eau, un service de télémédecine est disponible, même les poubelles sont
intelligentes pour aider au tri. Ville conçue selon un principe d’ubiquité, les
systèmes sont imbriqués et interconnectés sur le modèle d’un organisme vivant.
L’intelligence
est partout, jusqu’aux camions ordure… qui n’existent pas : remplacés par un
système souterrain de collecte, il transporte tous les déchets qui seront
brûlés, enterrés ou, pour la plupart, recyclés en biomasse. La centrale de
recyclage diffuse alors la chaleur vers les bureaux et logements.
Partout,
les usages sont scrutés, les consommations mesurées pour maintenir un bilan
carbone neutre, voire positif à l’échelle de la ville.
Concernant
la mobilité, les transports sont ultra connectés. Tout est suivi, tracé, géo
localisé. Chaque voiture mise en marche a sa plaque d’immatriculation scannée,
informant la base de donnée qu’une voiture supplémentaire arrive sur le réseau
routier. Le but ? Eviter les embouteillages, auquel cas les automobilistes
sont réorientés vers des axes non congestionnés. Les feux de circulation sont
également mis au service de la fluidité des déplacements puisqu’ils
régulent le flux de circulation en temps réel. Il en est de même pour les
arrêts de bus : l’affluence y est traitée afin d’adapter le nombre de bus
en circulation en fonction de la demande.
Le système de données va plus loin : lors d’un accident le dossier médical
des victimes sont directement transmis aux secours. Comment ? La ville est
quadrillée par 500 caméras. Celles-ci scannent les plaques d’immatriculation,
qui sont reliés à une base de données contenant des informations sur les
usagers, dans ce cas, des informations sur les accidentés.
Songdo apparait dès lors comme « laboratoire big data », fonctionnant grâce au très haut débit, à la 5g et à l’omniprésence des capteurs
Dans la ville intelligente de Songdo, rien n’est laissé au hasard. Tout est collecté, analysé, traité pour améliorer la vie en ville. Aucune turbulence ne semble enrayer cette machine technologique, qu’aucune menace ne doit venir mettre en péril. La sécurité est le mot d’ordre ; la police est alertée par chaque faux pas, chaque déviance. D’aucuns considèrent que c’est un modèle de ville ennuyeuse car privée de tout imprévu. En tout cas, la vie privée n’y est pas possible dans l’espace public du fait de la concentration de caméras et divers capteurs. Un habitant plaisante en attestant qu’il n’est pas possible par exemple d’y tromper son.sa conjoint.e.
Kim Hwanyong, vice-directeur de l’Université Nationale d’Incheon admet qu’« il peut être difficile de faire accepter aux gens que leurs données vont être prélevées. S’ils ne savent pas ce que la ville va en faire, ils peuvent être réticents et cela peut bloquer l’envie de s’installer ici […] mais si ces données peuvent servir leur vie personnelle, leur éviter de rester bloqué dans les bouchons, ou de ne pas avoir à attendre des heures un rendez-vous médical à l’hôpital, l’appréhension se dissipe ». Du pratique à l’intrusif, il n’y a qu’un pas.
Des villes intelligentes, vouées à parsemer la planète
Le fondateur et président de l’organisation New Cities Foundation considère que
« de telles cités sont une partie importante de l’avenir. Parce que l’urbanisation se poursuit, et il n’y a plus de place dans les grandes métropoles ».
Songdo
représente une belle carte de visite pour les firmes qui l’ont façonné. Des
pays comme la Chine, l’Inde, l’Afrique, le Moyen-Orient ont besoin de créer ce
genre de ville nouvelle pour gérer les flux humains dont les villes existantes
débordent. Les concepteurs envisagent donc d’exporter ce modèle de ville à l’international.
Ces villes sont donc conçues par des organismes privés, sans aucune
concertation avec les habitants. Mais d’ailleurs les habitants, qui sont-ils dans
une ville qui n’existe pas encore ? Cela pose une série de nouveaux défis
pour la planification urbaine de demain…
Les villes nouvelles se profilent donc comme une solution consternante. Est-ce enviable de vivre dans une ville ultra surveillée ?
Francis Pisani, journaliste au Monde s’est rendu à Songdo
« C’est une ville, a priori, où on n’a pas très envie de vivre, parce que c’est encore un peu vide avec uniquement de grands bâtiments […] une ville perturbante »
Une ville déserte comme ville durable ?
Présentée comme un modèle de développement durable, Songdo, à l’image d’autres villes durables comme Masdar ou Zenata, les villes nouvelles peinent à attirer des habitants. Francis Pisani l’a vue comme « une énorme coquille encore pas très remplie. » Des rues au parc central, le vide demeure. Dix ans après « l’ouverture » de la ville, moins de la moitié des 250 000 habitants attendus s’y sont installés.
A Songdo, qui signifie « l’île des pins », les espaces verts se font plus nombreux qu’à Séoul : 32% conte 21%. Néanmoins, « il a fallu assécher des marais avant de pouvoir commencer à la construire. Ce qui n’est pas tout à fait écologique », atteste Kim Hwanyong.
D’autre part, la ville, ultra numérique, se fait gourmande en énergie. L’électricité n’est pas produite sur place et provient de centrales à charbon.
Une autre faille dans le programme écologique de la ville est à déplorer : il est impossible d’ouvrir les fenêtres des buildings, ce qui induit un usage outrancier de l’air conditionné, amplifié par le matériau de ces buildings : des façades vitrées qui agissent comme une serre.
Par ailleurs, l’un des critères de la ville durable est celui d’effiquité. Ce néologisme signifie que « l’efficacité économique ne doit pas se faire au détriment de la justice sociale ». Cela vise une répartition plus équitable des ressources ainsi qu’une « meilleure prise en compte des coûts et bénéfices sociaux des différents modes de production ou de consommation ».
Une habitante témoigne du caractère lissé et hétérogène de la ville.
« C’est très bien organisé, c’est propre, les gens sont amicaux et civilisés. Vous ne trouverez jamais un sans-abri, c’est très sécuritaire »
Songdo est une ville où il n’y a pas de pauvres, pas de vendeurs de rue, pas de personnes âgées, pas de mendiants, en somme, pas un terreau pour des initiatives solidaires ou une quelconque justice sociale. Une ville qui ne produit ni services, ni satisfaction ni liens sociaux.
Songdo, comme les autres villes nouvelles, ont la qualité de représenter une facilité apparente : bâtie à partir de rien elles n’ont à première vue que peu de contraintes à prendre en compte. Tout est à faire, la liberté est donc considérable : on peut envisager la mixité fonctionnelle, circulation douces. En réalité, leur gouvernance et l’action publique territoriale est délicate à mettre en œuvre.
Le mot de la fin est formulé par Le Moniteur
« Mais, cet urbanisme comme assisté par ordinateur est-il réellement sans risque ? Après tout, un ordinateur, ça bugue… »
Agathe Scorpolini-Burger
Source image : pixabay.com
Références
https://www.cairn.info/revue-quaderni-2018-2-page-43.htm
https://www.lemonde.fr/les-prix-de-l-innovation/article/2017/05/26/songdo-ghetto-de-riches_5134374_4811683.html
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1073129/songdo-coree-sud-ville-intelligente-futur-asie-transport-dechet-habitation-urbanisme-desautels
https://www.urbanisme.fr//fabriquer-la-ville-a-quel-prix/magazine-396/TOWN#anchor_1384