L’intégration du numérique à la ville, quel impact sur nos quotidiens?

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et l’hyperconnectivité bouleversent à la fois les espaces urbains et les individus. Pourtant, les formes physiques de la ville semblent évoluer moins rapidement que le font les modes de vie et les pratiques. 

Nous pouvons constater cependant une hybridation des lieux physiques et du numérique. Celle-ci serait directement liée à l’actuelle mobilité. Les nouveaux outils numériques sont toujours plus portatifs et les connexions en ville toujours plus nombreuses, alors, nos logements, nos rues, nos gares, nos voitures, nos trains, nos métros, sont aussi devenus nos bureaux. Les NTIC ont créé une porosité entre les différents espaces physiques de la ville, et la flexibilité et la privatisation des transports ne font qu’accentuer cette dynamique.

Les modes de déplacement doux ou non motorisés sont à nouveau sur le devant de la scène,  pourtant ils ne sont pas seulement – ou pas vraiment-  envisagés dans une démarche écologique, sanitaire et sociale mais également dans cette même perspective d’efficacité. En effet, les vélos libre-service, les trottinettes électriques, les voies piétonnes, toutes ces modifications de la ville et de ses usages sont pensées plus comme des moyens d’accélérer les flux que de permettre aux usagers de flâner et prendre leur temps.  

Mais de nouveaux lieux physiques, plus hybrides et plus connectés que les lieux traditionnels ont également vu le jour. Ces tiers lieux ou même quatrièmes lieux (fourth places[1]) jouent un rôle central dans l’avènement du numérique en ville, en effet, ces lieux sont construits sur l’idée louable de la mise en réseau, du partage et de la création de services hybrides dans une démarche bottom-up. Pourtant, il semble que lorsque le café du coin est en réalité également le lieu de travail, et parfois même de repos, alors les sphères privées et professionnelles se confondent, et les individus sont en permanence connectés. Nous pouvons citer l’exemple de l’Hermitage[2], lieu construit comme un fablab mais qui propose, outre l’apprentissage collectif autour de la mécanique, du numérique et des voitures connectées, des espaces de loisirs et des espaces d’hébergement. Cette tendance est accentuée d’une part par l’évolution du modèle entrepreneurial vers une plus grande flexibilité, et d’autre part, par les collectivités locales et par le Ministère de la Cohésion territoriale qui la promeut, souhaitant impulser de nouvelles « Fabriques de territoires », développer les tiers-lieux en territoires ruraux et créer un véritable réseau national.


Nous ne pouvons nier les externalités positives que produisent les tiers lieux sur les territoires et sur les compétences professionnelles mais qu’en est-il de l’impact de l’hyperconnectivité sur le bien-être et la santé ?


Les sollicitations numériques ont été largement intégrées au mobilier urbain. En effet, toute bonne smart city  propose à ses habitants des bornes wifi, les panneaux publicitaires sont devenus des écrans interactifs et mêmes les passages piétons prévoient désormais des jeux vidéo pour faire patienter les usagers comme ce ping-pong allemand.[3]

Les temps d’arrêt dans la ville semblent être subis et les ingénieurs et designers y cherchent des alternatives. Cette perspective permet la poursuite des flux numériques malgré l’arrêt des flux physiques. Les vies digitale et urbaine se complètent et rares -pour ne pas dire inexistants – sont les lieux dédiés à la pause et uniquement à pause, une pause totalement déconnectée, libre des tensions digitales.  

L’émission La tête au carré du 20 mars dernier présentait avec le neuroscientifique Michel Le Van Quyen[4], les bienfaits du silence sur notre cerveau. En effet c’est ce repos qui permet au cerveau de se nettoyer des toxines, ce qui permettrait notamment de lutter contre certaines maladies neurodégénératives comme Alzheimer. Or, dans nos villes actuelles, les entreprises du numérique font régner l’économie de l’attention. Celle-ci mène à la fois à la surcharge cognitive et à « l’inquiétude permanente de passer à côté de quelque chose ». C’est notamment ce qu’a observé Gloria Mark en étudiant la concentration des salariés travaillant dans des open spaces. Une nouvelle tâche interrompt leur tâche initiale en moyenne au bout de 11 minutes d’attention et leur concentration ne reviendra qu’environ 25 minutes plus tard. Au-delà de la question de l’efficacité dans le monde professionnel, cette économie de l’attention affecte nos vies personnelles et notre santé mentale.

Il semble donc pertinent de s’intéresser à la pause, la pause comme l’arrêt des flux à la fois physiques et numériques. Cette interrogation rejoint de nombreuses questions urbaines actuelles comme celles de la lenteur, de la ville asseyable[5] ou piétonne, des commerces de proximité ou encore de la consommation locale.

Comme le prouve les écrans numériques publicitaires et l’attention supérieure qui lui est dédiée par rapport à celle attirée par les panneaux publicitaires classiques, notre environnement cherche notre intérêt et devient donc hyper-stimulant. Le web actuel est construit pour des logiques de marché, comme le signale Tariq Krim « nos vies, nos humeurs, sont devenues de la nourriture pour l’intelligence artificielle. » Ainsi, les stimulations non seulement sont permanentes et à grande fréquence mais également sont de mauvaise qualité. Tariq Krim propose donc un « slow web », de meilleure qualité  c’est-à-dire bienveillant, afin de rompre avec le principe de l’utilisateur du web consommateur boostée par les réseaux sociaux rendant nos vies toujours plus insuffisantes. Tariq Krim propose alors un retour à des standards ouverts, une plus grande interopérabilité des données entre service et un respect de la vie privée.

Le philosophe mécanicien Matthew B. Crawford décrit le silence comme un privilège. En effet, lors de la promotion de son ouvrage Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, il a observé cette division entre les espaces publics des aéroports où règnent la cacophonie et les sollicitations publicitaires et les espaces réservés aux classes affaires où le silence devient leur exclusivité.

« Nous pensons souvent que la liberté équivaut à la capacité à faire des choix ; maximiser cette liberté nécessiterait donc de maximiser toujours plus le nombre de possibilités qui s’offrent à nous. Alors que c’est précisément cette multiplication qui capte toujours plus notre énergie et notre attention… »

Ainsi, revenir à plus de simplicité, moins de choix, permettrait moins de sollicitations et donc plus de bien-être. Nous sommes aliénés par le numérique dans notre environnement urbain, nous ne choisissons plus d’y porter attention, le numérique puise – et épuise – directement dans notre attention disponible.
C’est pourquoi Crawford prône un retour au travail manuel, selon lui, ce type d’activité « nous rappelle que nous sommes des êtres « situés », constitués par notre environnement, et que c’est précisément ce qui nous nous permet d’agir et de nous épanouir ».

Outre cette proposition, nombreux sont les ingénieurs ou designers à la recherche de solutions pour permettre une déconnexion en plein cœur de la ville, un article de Demain a ville[6], évoque notamment la nouvelle tendance des chambres d’hôtels sans wifi et des caissons anti ondes et anti wifi[7]. Mais ces possibilités restent payantes et font donc du silence et de la déconnexion des services loués et vendus.

Cet article a été écrit en deux fois plus de temps qu’il n’en faudrait car j’ai été constamment attirée par mes outils numériques, amenée à changer de musique dans ma playlist Spotify, à ouvrir mon fil Instagram ou à me balader sur mon fil d’actualité Facebook. Alors même que je réfléchissais à l’importance du silence et de la déconnexion face à l’hyperconnectivité en ville, je n’ai pu m’empêcher de céder aux distractions.


FBL


Source image : Pixabay.com


Références:

[1] https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3056754

[2]  https://www.hermitagelelab.com/

[3] https://www.dw.com/en/waiting-game-streetpong-traffic-light-game-debuts-in-hildesheim/a-18073443

[4] https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre/la-tete-au-carre-20-mars-2019

[5] https://www.demainlaville.com/la-ville-asseyable-une-utopie-a-reconstruire/

[6] https://www.demainlaville.com/la-ville-du-futur-sera-t-elle-deconnectee-22/

[7] https://www.soonsoonsoon.com/bp9867

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