Aujourd’hui, il va sans dire que toutes les villes ne partagent pas la même conception de la « smart city », la « ville intelligente » dirait-on en bon Français. La plupart d’entre elles ont ainsi suivi l’exemple de Rio de Janeiro (Brésil) et Johannesburg (Afrique du Sud) en adoptant le modèle sécuritaire de la techno-cité par le biais d’un ensemble de capteurs pilotant la ville intelligente. A l’opposé, Vienne (Autriche) a fait le choix de la ville collaborative, partant du constat que la pression exercée par la croissance urbaine (la ville devrait accueillir 200 000 résidents supplémentaires d’ici 2030) pouvait contrevenir à son développement économique et à la qualité de vie de ses habitants.
Vienne à contre-courant de la conception mainstream de la smart city
Alors que Vienne vient d’être classée, pour la dixième année consécutive, au premier rang mondial des villes au meilleur niveau de qualité de vie, il paraît intéressant de saisir la réalité complexe qui se cache derrière de tels labels. Ainsi, comment protéger ses ressources économiques et réduire son impact environnemental tout en préservant la qualité de vie face à la croissance démographique ? A rebours d’une vision technocentrée et totalisante de la smart city se traduisant par la surveillance diffuse de la population et l’opacité de l’information numérique, Vienne défend l’inclusion sociale et la transparence des données comme principaux vecteurs de sa stratégie urbaine dénommée « Stadt für’s Leben » (ville pour la vie). Depuis 2013 et l’accord de coopération passé entre l’Etat fédéral et la municipalité de Vienne, les urbanistes du programme Smart City Wien ont considéré que l’intelligence de la ville ne pouvait se passer de celle des habitants.
Dans un premier temps, la ville a mis sur pied un « Smart Citizens Lab » pour permettre d’informer les habitants sur les projets collaboratifs à fort potentiel humain, tels que les « Repair cafés » ou encore les initiatives solidaires comme le co-voiturage. La capitale autrichienne peut ainsi compter sur l’un des réseaux de start-up les plus denses d’Europe dans le domaine de l’économie sociale et solidaire.
Par la suite, Vienne a développé des programmes de « citoyens capteurs », à l’image des boitiers qui équipent les voitures des automobilistes volontaires pour aider à réguler la circulation et à préserver la qualité de l’air. Il est important de noter que toutes les données récoltées sont ensuite rendues publiques sur le site de la municipalité. D’ailleurs, la ville dispose de nombreuses applications conçues grâce à une ambitieuse politique d’open data government (données numériques dont l’accès et l’usage sont laissés libres aux habitants, entreprises et chercheurs). Parmi les plus « whaou », on trouve l’application « Toilet Rating » qui permet de localiser et de noter les toilettes publiques.
Au fond, alors que le monde entier réfléchit à la ville contributive, Vienne la construit et est devenue ce que le géographe de la complexité urbaine, Marcel Roncaylo, qualifiait de « laboratoire urbain ».
La ville contributive fait la part belle aux citoyens et aux biens communs
La ville contributive, telle qu’elle est imaginée à Vienne, s’inscrit dans le courant de l’open data empowerment qui défend une vision proactive de la smart city où le citoyen n’est pas simplement « capté » par les géants du numérique (GAFAM), mais où il est « capteur » de son environnement urbain. Évidemment, le rôle de la municipalité change, elle endosse le rôle de facilitateur et de conciliateur en tissant des liens entre les communautés de citoyens capteurs et les administrations. Ce rapprochement a la vertu d’accroître la légitimité et l’impact des dispositifs participatifs en les inscrivant dans des cadres réglementaires.
En cela, la municipalité est moins “celle qui planifie, décide, produit, ou commande, que celle qui fixe une direction et stimule, observe, met en relation, oriente, conseille, arbitre” (Daniel Kaplan et Thierry Marcou, La ville 2.0, plateforme d’innovation ouverte, 2008, p. 104).
Enfin, la ville contributive fait aussi écho à la pensée sur les « biens communs » (air, eau, biodiversité) mise au point par l’économiste et politiste américaine Elinor Ostrom, prix nobel d’Économie en 2009. Le choix donné aux dispositifs collaboratifs plutôt qu’à des dispositifs sécuritaires et potentiellement liberticides exprime l’impérieuse nécessité de faire exister les biens communs à travers la constitution de communautés issues de la société civile en lien étroit avec les institutions locales. A l’ère de l’anthropocène, la complétion entre la ville et le numérique est possible voire incontournable si l’on souhaite gagner le grand défi du changement climatique.
Plus que jamais, la ville collaborative entrouvre la voie d’une nouvelle page de la grande et tumultueuse histoire de la civilisation humaine, fondée sur la résilience économique, la durabilité environnementale et la cohésion sociale.
Clément Guilloteau (Promotion Altervilles 2020)
Pour aller plus loin :
https://www.lafabriquedelacite.com/publications/portrait-de-ville-vienne/
https://atelier.bnpparibas/smart-city/article/vienne-vision-sociale-smart-city
https://www.academia.edu/11938450/La_ville_intelligente_mod%C3%A8les_et_finalit%C3%A9s
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