Deux « ruches connectées », des dispositifs qui fonctionnent à l’aide de capteurs, ont été mis en place à la Maison de la Nature de Saint Etienne par l’association France Nature Environnement, où sont regroupées 30 000 à 70 000 abeilles noires. Cette sous espèce est particulièrement menacée par l’utilisation des pesticides, elle est par ailleurs peu utilisée par les apiculteurs. Considérée comme rustique, elle sait s’adapter à de mauvaises conditions climatiques et a très peu besoin de l’homme pour survivre.
Ces ruches connectées de la ville fonctionnent grâce au système « Connected Beekeeping », qui a mis au point des « balances de ruche ». Ceci permet à l’apiculteur de vérifier avec un premier capteur les conditions météorologiques (température, taux d’humidité, ensoleillement…), lorsque le second surveille le poids de la colonie pour gérer au mieux le nourrissement dans le corps de ruche (qui est la partie de la ruche qui permet aux abeilles d’y vivre toute l’année et de survivre l’hiver).
Ces derniers reçoivent en temps réel, sur leurs smartphones et tablettes les données ce qui leur permet d’être réactifs en cas de danger pour la colonie. Pour les apiculteurs professionnels, c’est une façon innovante de gagner du temps, car il est possible d’appliquer les soins nécessaires selon les véritables besoins des individus de la ruche. Ces startups fleurissent partout en France, on en compte une bonne dizaine sur la gestion des ruches à distance.
Il est souligné par le concepteur, un niortais de 21 ans, que l’entreprise Bee2beep protègent les données des utilisateurs, et qu’il est possible de gérer l’historique en ligne. Les balances sont connectées au réseau Sigfox qui est un réseau de « l’internet des objets », il faut donc être en zone de couverture de ce partenaire pour bénéficier d’une balance de ruche, ce qui peut être discriminant pour certains territoires. Par ailleurs, la balance coûte environ 499euros, une somme à laquelle il faut ajouter la caméra et la plateforme web, ce qui ajoute 60 euros hors taxe par mois pour stocker les données.
Qu’entend-on par « l’internet des objets » ?
L’internet des objets est une véritable mutation du réseau, dont se préoccupent grandement les pouvoirs publics à l’heure actuelle, notamment au niveau européen. Il est possible pour des usagers d’interagir avec des objets de proximité, et ces services pourront être l’avenir de nombreux domaines, comme la santé ou ici, la maîtrise des risques environnementaux. L’objectif aujourd’hui est de développer ces activités particulièrement lucratives, tout en garantissant la protection des données des citoyens ; c’est autrement dit, un chantier de taille. Ces objets connectés seront avec le temps partie intégrante de la smart city : on observe déjà au Royaume Uni plusieurs poubelles équipées de puces pour vérifier les bonnes pratiques en matière de tri des habitants.
Les conséquences politiques et économiques de cette irruption technologique dans nos quotidiens sont pour le moment assez imprévisibles, il sera surement nécessaire d’établir une gouvernance viable à l’aide d’une réglementation stricte, même si ce phénomène a déjà pris une grande ampleur.
Quel est l’intérêt pour la collectivité et les entreprises ?
Les services qui proposent ces ruches connectées insistent sur l’idée de rentabilité. Plus une ruche est surveillée, plus elle est productive, car la connaissance de ces données permet d’empêcher notamment la mort de l’essaim en cas de pénurie alimentaire au milieu de l’hiver. Par ailleurs, ces ruches sont pour les institutions, un nouveau moyen de communication assez puissant. Plusieurs entreprises, dont des banques souvent décriées pour leurs financement d’industries polluantes (BNP, Crédit Agricole…), ce sont emparées de ces dispositifs qui trônent souvent sur les toits de leurs immeubles, pour montrer leur nouvel engagement en faveur de la biodiversité.
Dans le cas de Saint Etienne Métropole, la visée est certainement scientifique, mais l’enjeu majeur est pédagogique. Ainsi les classes de l’école Rosa Parks vont travailler sur les abeilles noires et leur préservation avec la FRAPNA, pour lutter contre les idées reçues autour de cet animal qui peut parfois susciter de la peur, notamment chez les jeunes enfants. La ville a fait le choix d’installer des caméras dans la ruche pour suivre l’activité en temps réel des abeilles, dans le but de sensibiliser ces derniers et leurs familles à la protection de la biodiversité.
Peut-on dire que ce projet de ruches connectées s’inscrit dans une ambition plus vaste, celle d’intégrer le vivant dans la ville ?
C’est ce qu’on appelle la biogouvernance ou le biopolitique, l’idée de penser les politiques publiques et les infrastructures pour désormais accueillir le vivant dans nos vies quotidiennes- ou le repousser s’il est porteur d’une menace pour l’humanité (les rats et la peste, par exemple). La plupart des espèces animales étaient auparavant pensées comme « déplacées » dans l’enceinte de la ville, ou considérées comme des entités extérieures qui n’y avait plus leur place. Aujourd’hui, on fait désormais le choix de comprendre ces êtres vivants pour les remobiliser dans l’urbain, et ceci suppose une étude approfondie, ainsi que le contrôle de leurs pratiques. Pour les réintégrer, -car nous avons pris conscience des enjeux qui entourent notamment l’abeille et sa conservation-, on rend ces butineurs et leur habitat « techniques », plus complexes que dans le milieu naturel, pour enfin devenir des « produits de la ville ».
L’idée sous tendue reste celle d’une nature profitable, rentable, à qui on donne car nous y trouvons un intérêt certain. Cette idée que l’on se fait de la nature doit s’adapter à l’environnement urbain, et non l’inverse. On observe néanmoins, dans certaines politiques publiques, une tendance contraire, avec le développement des corridors écologiques notamment, mais ceci reste des pratiques marginales.
L’abeille, quant à elle, ne peut plus survivre sans l’homme. Le clivage nature/culture est obsolète, dans le sens où la culture fait désormais partie de notre évolution à tous, j’en veux pour exemple des corbeaux qui utilisent le trafic routier pour casser des noix, ou encore les mégots de cigarettes qui sont utilisés par certains oiseaux pour construire des nids répulsifs. Comme nous, ils s’adaptent au « progrès », et il n’est donc pas étonnant que les ruches des abeilles deviennent des objets connectés puisqu’elles se doivent d’être dépendantes de l’Homme. Or, nous sommes pratiquement arrivés à l’heure du transhumanisme, avec bientôt des organes créés par des imprimantes 3D. A quand donc, les abeilles artificielles ?
Océane Legrand
Photo : Pixabay
Sources :
Blanc, Nathalie. « Des milieux de vie à l’écosystème urbain », Ecologie & politique, vol. 29, no. 2, 2004, pp. 99-110.
Benhamou, Bernard. « L’internet des objets. Défis technologiques, économiques et politiques », Esprit, vol. mars/avril, no. 3, 2009, pp. 137-150.
https://www.label-abeille.org/fr/content/index.php?controller=business-page-fr
http://www.saint-etienne.fr/projets/développement-durable/ruches-connectees/ruches-connectees
https://www.bee2beep.com/get_started_company.php
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