Perçu comme un outil de la démocratie numérique et de la transparence des collectivités territoriales et de nos administrations, l’OpenData est au cœur de réflexions et de débats. Cette effervescence autour de l’ouverture de la donnée publique et sa réutilisation est intéressante à analyser. En effet cette ouverture s’apparente souvent comme la démonstration d’une démocratie toujours plus transparente et à portée de tout le monde, pourtant il n’est pas si aisé d’en évaluer réellement l’impact.
Nous nous demanderons alors au cours de cet article à quelles conditions, nécessaires, mais pas forcément suffisantes encore l’OpenData peut-elle soutenir un certain « renouveau démocratique » ?
Pourquoi parler de renouveau dans un premier temps ? Puis, de quelle façon, et comment ?
Tout d’abord, et c’est ce qui parait essentiel dans ce débat, une plus grande ouverture et une transparence efficace, en ces temps relativement troubles en termes de biens publics, leur utilisation et les abus possibles. Le citoyen en général est demandeur d’ouverture, et ce, de plus en plus depuis l’avènement du numérique et l’accès rapide à tout type d’information. Le numérique entraîne un changement en profondeur de l’exercice démocratique. Il permet à chaque citoyen de s’exprimer quotidiennement et de faire entendre sa voix. Tout le monde a désormais la possibilité de fédérer des groupes de personnes partageant des intérêts, des problématiques ou des objectifs communs, avec l’exemple des réseaux sociaux de tout type ou le travail communautaire autour d’une même thématique, à l’image d’Open street Map qui se développe et s’enrichie via des contributeurs bénévoles. Le numérique est devenu une forme d’outil facilitateur et ainsi la démocratie n’est plus un rendez-vous ponctuel entre le peuple et ses représentants, elle s’exerce dorénavant en continu, sous une forme complémentaire à celle du vote traditionnel. Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est l’information à laquelle le citoyen a accès qui lui permet de mener sa propre réflexion. Aussi, l’ouverture des données publiques est-elle une exigence démocratique et c’est en partageant ce savoir que l’on enrichit la connaissance des citoyens. Une connaissance nécessaire car savoir, c’est pouvoir choisir en conscience.
Il faut bien observer les évolutions qui s’opèrent. Si la connaissance des données publiques peut représenter une forme de pouvoir, ou de contre-pouvoir, l’open data en ai alors largement partie prenante. Dès lors que les données publiques sont ouvertes, elles sont partagées au plus grand nombre, tout comme théoriquement donc le pouvoir et le contrôle (Chiffres et statistiques sur lesquels se fonde l’action publique, ne sont plus aux mains de l’Administration et de quelques élites, le pouvoir qu’avaient ces dernières est partagé avec la multitude). Les choix et résultats venant des administrations publiques seront de plus en plus confrontés à l’esprit critique d’un citoyen redevenu acteur et auditeur.
On peut alors comprendre dès lors que des réticences puissent voir le jour ici où là dans les administrations et parmi les élus. Comme il a pu être montré par Nicolas Colin et Henri Verdier (L’âge de la multitude, Armand Colin 2012), les entreprises et les administrations sont désormais face à une multitude de porteur d’innovations et de changements, et que de plus en plus elles devront engager des modifications internes afin de s’adapter et se fondre dans un monde qui tendrait à s’élever vers une plus grande ouverture des canaux.
Une ouverture finalement limitée ?
Bien entendu il est de mise de nuancer le propos face à l’OpenData. L’ouverture des données publiques et la création de plateforme d’OpenData résultent nécessairement d’une décision politique. La nature des données mises à la disposition des citoyens, tout comme la qualité des données partagées ne sont ainsi pas des choix anodins pour les collectivités territoriales et les territoires.
Un rapide regard porté sur les jeux de données ouverts sur une plateforme d’OpenData permet par exemple de constater que l’essentiel d’entre eux sont d’ordre statistique ou géographique. Bien que ce soit des données intéressantes, réutilisables la plupart du temps, et utiles dans certains contextes, il est ainsi relativement rare d’y retrouver des rapports d’étude ou des données sensibles sur nos territoires (au-delà des données concernant la sécurité intérieure ou nucléaire par exemple, qui dans ce cas restent légitimes à ne pas être partagées au plus grand nombre et au citoyen lambda). L’exercice de démocratie numérique offerte par l’OpenData peut s’avérer du coup relativement limité.
Au-delà des questions inhérentes à la nature et à la qualité des données ouvertes au grand public, nous pouvons également nous interroger sur la capacité dont dispose les citoyens pour exploiter les données à des fins démocratiques ou citoyennes. Relativement peu de monde, et encore moins les néophytes ne sauraient traiter avec facilité des fichiers Excel très long et complexes, ou utiliser des données sous des formats très spécifiques. Les personnes en mesure de porter un regard critique sur tout ceci restent au final et malheureusement peu nombreuses.
L’utilisation de l’OpenData à des fins citoyennes nécessite de former les habitants au traitement des données brutes, à l’analyse des données. A défaut, les collectivités pourraient organiser des ateliers OpenData au cours desquels les habitants pourraient analyser de manière collective des données publiques. Il existe bien entendu déjà des rencontres entre citoyens sur ces questions d’accès à la donnée et de travail sur outil numérique, et notamment via des communautés et bénévoles travaillant sur OpenStreetMap et qui organisent fréquemment des « cartoparty » afin de mieux connaitre le territoire, comment l’analyser, et comment incorporer de la donnée sur un outil cartographique ouvert à tous et facilement, ce qui permet même aux plus étrangers au sujet de l’OpenData de pouvoir s’impliquer et en comprendre les tenants et aboutissants.
Seules ces étapes permettront à la population de se saisir de l’OpenData et de faire une utilisation citoyenne des données. Mais à l’image des démarches de démocratie participative, nos collectivités ont-elles réellement l’envie de doter les citoyens des outils nécessaires à l’exploitation des données publiques ? Les élus ont-ils peur d’une évaluation citoyenne des politiques publiques ?
Puis une autre question demeure, l’OpenData est-elle une réelle attente des citoyens ? On peut penser que pour ceux qui s’y intéressent, qui maitrisent les outils numériques, oui. Mais dans d’autres cas ou couches de la société, la donnée ouverte pourrait apparaitre comme inutile, sans intérêt, ou même inconnue. C’est pour cela qu’il faut travailler sur sa démocratisation de ces possibilités et faire participer le plus largement possible la population, pour qu’elle en ai au moins connaissance et que les gens sachent que ces données sont accessibles et utilisables. Pourquoi ne pas mettre en place dès le plus jeune âge en école primaire, à l’image de la semaine de la presse, une semaine de la donnée ?
L’OpenData et le monde urbain.
En outre, et au-delà des questions d’accès et d’utilisation de la donnée, on peut dire que l’OpenData permet à nos villes d’être plus intelligentes, avec une amélioration des accès, des consommations, économie en tout genre etc… Si l’OpenData ne permet peut-être pas foncièrement, en tout cas actuellement, à notre société d’être plus démocratique ou réellement plus transparente, elle permet néanmoins de faciliter la vie des citoyens et de rendre nos villes plus intelligentes. En effet grâce aux données ouvertes des entreprises et services publics, des citoyens ont pu développer des outils qui facilitent notre vie au quotidien (places de stationnement disponibles ; zones avec accès handicapés ou non etc…). On peut peut-être parler là aussi d’une forme de démocratie nouvelle, renouvelée, qui permet au citoyen d’évoluer dans un univers qu’il connait mieux, plus responsable, plus intégrant.
Le renouveau démocratique qu’engendrerait l’ouverture en masse de la donnée passerait peut-être alors dans un premier temps par la possibilité de changer ses pratiques (quotidiennes ou non) en les rendant plus responsables, efficaces et utiles au bien commun.
L’outil numérique est dorénavant un outil qui facilite de plus en plus des pratiques telles que l’accès à la donnée ouverte publique. Le modèle politique que nous connaissons se verrait potentiellement renouvelé en quelques sortes, dans le sens où l’on renforcerait l’idée d’égalité entre le peuple et les institutions, et donc la démocratie. Mais cette promesse peut-elle être aujourd’hui homogène sur tout un territoire ? On peut observer des municipalités en France qui rechignent à partager leurs données et choisissent ce qu’elles « libèrent », et sous quelle forme. Dans ces conditions il est relativement difficile de parler de transparence et interroge sur la capacité qu’aurait l’OpenData à faire évoluer nos sociétés et nos démocraties à l’heure actuelle.
Valentin BERTRAND